À Visa pour l’image, la Scam et la Saif publient les résultats d »une étude commandée au Céreq. Menée par la sociologue indépendante Irène Jonas, elle met des maux sur les chiffres.

Depuis des années, de nombreuses enquêtes ont montré les difficultés économiques que rencontraient les photojournalistes et la précarisation de la profession.

Aujourd’hui cette étude du Céreq commandée par la Saif et la Scam, souligne les conséquences de cette fragilisation sur la santé de ces derniers en mettant des maux sur les chiffres.

Les témoignages recueillis par la sociologue Irène Jonas nous ont troublés car ils nous renvoient à notre propre histoire ou à celles de nos confrères proches, ceux qui dans le cercle intime se sont confiés aux détours d’une phrase.

Une fois l’émotion dissipée nous pouvons établir un bilan. Dans ce contexte plus général d’une précarité qui se développe et qui touche de nombreuses catégories socioprofessionnelles, notre profession concentre les difficultés de la société actuelle avec des spécificités particulières dues à l’évolution technologique, à l’isolement, parfois à la dangerosité et la pénibilité du métier ainsi que le regard parfois critique que porte la population sur les journalistes.

Ce qui frappe également c’est la paupérisation des métiers de la culture avec ces nombreux statuts : salariés précaires, pigistes, intermittents du spectacle, indépendants qu’ils soient auteurs, auto entrepreneurs ou correspondants de presse.

Les femmes sont d’ailleurs les premières victimes, malgré un haut niveau d’étude, avec des revenus beaucoup moins élevés que les hommes et de grandes difficultés pour pouvoir bénéficier ne serait-ce que d’un congé maternité. Nous sommes très loin dans ce domaine des objectifs fixés par le gouvernement.

Force est de constater que les stratégies individuelles développées par les uns et les autres ressemblent à une énergie du désespoir et montrent qu’en l’absence de connaissance du droit, de projet et d’organisation collective, il est difficile de faire entendre sa voix.

Les responsables politiques nous imposent un modèle social libéral et individualiste qui se construit sans concertation et loin des réalités du pays. Les photojournalistes vivent cette dure réalité, avec un sentiment de déclassement social et d’avoir basculé du côté des plus vulnérables.

Nous espérons que les responsables politiques prendront enfin la mesure de cette souffrance au travail d’autant plus insupportable pour nos confrères que l’investissement et l’amour du métier sont forts.

L’économie de la culture doit permettre aux créateurs de vivre dignement de leur métier et ainsi de trouver un sens à leur engagement professionnel.

Pierre Ciot                                                                                                         Thierry Ledoux
Photographe et Président de la Saif                                                                       Photographe, Commission des images fixes de la Scam


La complexité de protections sociales diversifiées

Dans son étude quantitative, le Céreq montre que les photographes sont fortement pluriactifs puisqu’ils occupent en moyenne 3.5 métiers liés à la photographie. Un tiers des photographes exerce une activité complémentaire dans un autre domaine. Ces diverses activités ne relevant pas des mêmes statuts d’emploi, il en résulte des difficultés en matière de couverture sociale. En effet, les photographes relèvent majoritairement de plusieurs régimes.
Les témoignages issus de l’étude qualitative illustrent les difficultés que rencontrent ces photographes dans le contexte actuel.

La polyactivité obligée amène les photojournalistes à jongler entre différents statuts : (autoentrepreneur et/ou droit d’auteur/Agessa et/ou piges rémunérées en salaires).

« Après le tir de flashball et l’hôpital, j’ai envoyé l’arrêt de travail à la Caisse d’Assurance Maladie. J’avais déjà été les voir avant pour savoir quoi envoyer, on m’avait dit qu’il y avait un truc qui n’allait pas. J’ai appelé l’Agessa qui m’avait dit que je serai dédommagé à partir d’un calcul de ce que j’avais gagné dans l’année. Puis finalement, la caisse d’Assurance maladie m’a tout renvoyé en me disant que ce n’était pas pour eux parce que je n’étais pas salarié. J’ai rappelé l’Agessa, je suis tombé sur quelqu’un de pas vraiment aimable qui m’a dit en gros que si c’était un arrêt de maladie et que j’étais au fond de mon lit je serai dédommagé mais que pour un accident du travail ils ne pouvaient rien faire. J’ai renvoyé un mail en expliquant bien mon cas, en joignant des documents et ils m’ont répondu juste deux phrases : ‘Nous vous souhaitons bonne convalescence et voyez avec la Caisse d’Assurance Maladie’… » (Michel)

Cette situation ne favorise ni l’accès aux soins ni les prises en charge ni pour les accidents, ni pour les maladies ou les grossesses.

« J’ai eu des accidents, je me suis cassé le poignet il y a deux ans et j’ai été immobilisé deux mois. Je crois que je n’ai rien eu comme indemnités, parce que pfff… c’est le bordel à organiser, d’aller demander à tous tes employeurs avec qui tu as une fiche de paie (…) tu es indépendant tu dois tout faire : appeler la sécu, appeler les employeurs… A un moment tu laisses tomber, tu attends que ça se passe, si tu as un peu d’argent de côté tu le dépenses et puis tu reprends le collier dès que c’est possible » (Etienne)

« Je n’ai eu que des grossesses comme « problèmes de santé » (rire) mais j’étais en poste donc ça s’est bien passé pour le congé maternité. Je vois des amies indépendantes qui sont enceintes, c’est une galère sans nom, c’est pour ça que j’ai fait des ‘’bébés CDI’’ parce que je savais qu’en tant qu’indépendante ça allait être compliqué » (Anna)

La retraite est également source d’angoisse particulièrement pour ceux qui étaient payés en droits d’auteur (Agessa).

« La retraite, je suis allé les voir c’est peanuts, je ne vais même pas pouvoir payer mon loyer, ma femme son canard va fermer… On va être obligé de partir, on ne pourra pas rester sur Paris, je ne sais pas comment on va faire. On ne va pas demander à nos enfants de nous aider à survivre » (Alain)

Dans le contexte d’un marché de l’emploi hyperconcurrentiel, et face à des exigences toujours plus fortes dans l’accomplissement du travail, les travailleurs dont la santé est défaillante sont les premiers à voir leur intégration professionnelle fragilisée.

« Il aurait fallu que j’ai une meilleure santé. Il aurait fallu que j’aie encore la niaque. Et le problème, c’est que la niaque malheureusement, je ne l’ai plus vraiment. Il faut arrêter de se voiler la face. Avec l’infarctus et la crise cardiaque, mon cœur ne fonctionne plus qu’à 50%. C’est mon gros problème de santé qui m’a fait arrêter définitivement. Mais j’en pleure, j’enrage ! On me donne 390 euros pour vivre. Si je n’avais pas ma nouvelle épouse, je ne me serais même pas présenté devant vous. Je serais déjà mort » (Paul)


Irène Jonas

Sociologue indépendante


Sommaire de l’étude

Préface
5 – Introduction
6 – Mon métier, ma passion… ma souffrance
8 – Travail et santé
10 – Les risques psychosociaux
10 – Une hyperactivité nuisible à la santé
11 – Le casse-tête des statuts
12 – Une intensification du travail
12 – Disparition du temps pour soi
13 – Des savoir-faire dévalorisés
14 – La brutalité de l’arrêt des commandes
15 – L’absence de réponses
17 – Souffrance par la perte de sens au travail
20 – L’angoisse des années futures
21 – Les stratégies pour préserver sa santé psychique
21 – Voir un psychologue
22 – Faire face aux décompressions au retour de reportage
22 – Contre l’isolement : mettre en place des soutiens, des collaborations et/ou des espaces partagés
24 – Avoir le soutien des proches et amis
25 – Changer de vie ou de métier
25 – Pénibilité du métier
25 – Mal de dos, tendinites et fatigue oculaire
27 – Santéisme, prudentialisme et néolibéralisme
27 – Préserver son « capital santé »
30 – Les stratégies pour tenir au travail
31 – Petits arrangements avec l’auto médication
32 – Les arrêts de travail
33 – Renoncer à des soins
34 – La question des mutuelles
36 – Le soutien du (de la) conjoint (e)
36 – Accident et/ou maladie : la vie peut basculer
37 – La première alerte qui change la donne
40 – La maladie invalidante
42 – Grossesse et parentalité
49 – Conclusion

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